Comment être utile dans cette crise sanitaire ? Que peut-on faire pour aider vraiment ? Et à qui parler ? Ce sont les questions que se sont posés des dizaines de makers à travers le pays (et au-delà) quand le confinement a commencé et qu’il a été question de pénurie de matériel de protection.
A l’origine même du mouvement des makers, l’idée de “faire soi même”. Une idée qui s’applique en toute circonstance mais surtout en cas de nécessité : il manque des masques ? Fabriquons-les ! Il manque des visières de protection ? Lançons un prototype ! C’est là qu’intervient – en général peu après – la deuxième phase de l’action des makers : l’amélioration du produit. L’idée n’est généralement pas de refaire un produit existant s’il y a une possibilité de l’améliorer, de le personnaliser. Enfin, la communauté des makers se met en marche : ils sont en réseau et échangent rapidement de bonnes pratiques, des modèles existants, des fichiers, des plans, des images, des idées… Les discussions sont techniques mais pas seulement. Car d’autres valeurs fortes du mouvement des makers sont omniprésentes : une forme de désintéressement et le partage des connaissances. Et ça marche. En quelques heures, de multiples itérations donnent naissance à de multiples prototypes.
Combien ont participé ? Impossible de le dire et peu importe. A qui appartient le fichier source du produit ? Impossible de le dire et peu importe. Car au même moment, un modèle différent vient certainement de sortir, encore plus efficace, encore plus simple ou disposant de plus de fonctions.
C’est cette boucle itérative – un joli cas d’école – qu’a vécu le FabLab de La Station, à parti du 16 mars dernier. Retour sur une séquence qui en appelle d’autres. On l’espère.
#1 – L’analyse
A l’origine, une décision sur le champ d’action : quel produit utile à court terme et à coup sûr, peut-on fabriquer en totalité, dans des délais et à des conditions de coûts raisonnables au FabLab de La Station ? Plusieurs choix possibles à partir des travaux de makers français et italiens : masques, visières, valves de respirateurs, poignées de porte… La priorité est donnée aux visières. Rapidement, sont contactés des hôpitaux et cliniques de la région pour valider le besoin et l’option technique retenue.
#2 – Le prototypage
Un prototype doit être réalisé avec les moyens du bord. L’équipe se met en recherche de matières premières : feuille plastiques et élastiques (merci à Marie-Jo qui a ouvert son grenier et ses caisses de matières premières stockées là en attendant un usage improbable).
Fabriquer une visière de protection, ce n’est pas si simple. Il faut un support imprimé en 3D, une paroi en plastique transparente pour pouvoir travailler sans que la vision soit altérée, un système d’accroche de la paroi au support et un système d’attache élastique qui maintient l’ensemble bien en place à l’arrière du crâne de l’utilisateur.
Premiers fichiers imprimés pour le support. Après quelques boucles itératives et quelques essais, Jessy – qui pilote le projet – aboutit à un support convaincant. Le modèle est présenté au Centre Hospitalier d’Helfaut pour avis (technique, médical). Un test in situ est immédiatement organisé, le feedback est bon sur la visière, sauf en ce qui concerne la visibilité. Insuffisante pour le médecin beta testeur. Une deuxième version du prototype devra être proposée avec une visibilité accrue. Chose faite deux heures plus tard.
#3 – La production
L’organisation de la production en série n’est pas une habitude dans un FabLab, davantage orienté vers des démarches de mise au point et des petites séries. Quand il faut fabriquer de grandes séries, un FabLab est rarement la bonne option. Il faut trouver des machines 3D et vite, le Centre Hospitalier va bientôt nous indiquer le volume de pièces attendues. On ne s’attend à rien. Inventaire rapide des machines disponibles et fonctionnelles au FabLab de Saint-Omer : 5, à Thérouanne : 2, 3 en cours de montage à Bailleul chez Jean-Christophe qui peut les rendre opérationnelles le lendemain. Au total ce sont dix machines qui sont mises en route pour produire 20 à 25 unités par jour. Si tout va bien.
#4 – Le déploiement
Une production en série peut maintenant être envisagée sérieusement. C’est le moment pour proposer le produit à d’autres utilisateurs potentiels : pompiers, services à domicile, hospitalisation à domicile, ambulanciers… C’est le moment aussi de communiquer plus largement pour identifier des demandes nouvelles. Jessy se créé un compte Facebook dédié (si si !) et en quelques heures, se font connaître des partenaires nouveaux qui peuvent aider : makers de la communauté de La Station sensibles au projet, propriétaires d’imprimantes 3D qui veulent aider… De nouvelles commandes sont enregistrées avec les ambulanciers Landron à Saint-Omer et les services de l’hospitalisation à domicile de Saint-Martin-auLaërt. Au même moment, les machines commencent à souffrir et il faut trouver les nouvelles réponses pour honorer les engagements. Là encore, la communauté des makers est sollicitée. Nous découvrons de nombreuses initiatives similaires partout en France. Les makers s’organisent.
Pour (d’abord) être utiles.
Pour aussi être acteur d’un mouvement qui permet de faire de grandes choses, collectivement.